Évolution de l’officine : Quel avenir pour la pharmacie ?
1 mars 2023Organiser sa première journée à l’officine pour un pharmacien titulaire
29 mars 2023A la pharmacie de l’Alliance à Grenoble, Christine Le Fournier, 67 ans, ne cache pas son enthousiasme. « J’ai vu les nouvelles missions arriver avec émerveillement. C’est une très belle reconnaissance de notre utilité dans la santé publique, se réjouit la pharmacienne. Notre profession avait tendance à délaisser sa position de soignant pour devenir essentiellement un marchand. »
Installée depuis trente – cinq ans dans le quartier Capuche-Alliés, à 2 kilomètres du coeur historique de la ville, elle a pris « à bras-le-corps » ces nouvelles attributions du pharmacien. « Nos équipes se sont formées à la vaccination, au dépistage, à la conduite des entretiens pharmaceutiques. Nous nous sommes également coordonnés avec les autres professionnels de santé de la région, médecins, infirmières, sages femmes, pour travailler en bonne intelligence », explique-t-elle.
Son officine fait aujourd’hui partie des rares pharmacies de l’Hexagone environ 1500 à ce jour sur les 21000 du territoire à avoir mis en place des entretiens pour les femmes enceintes. Ces échanges, destinés à sensibiliser les futures mamans au risque lié à la consommation de substances tératogènes pendant la grossesse, sont réalisés par les pharmaciens depuis longtemps. Mais jusqu’à présent, ils avaient lieu au comptoir, de façon informelle.
Depuis le 7 novembre 2022, ils sont reconnus comme des actes à part entière, cadrés par une feuille de route détaillée, et rémunérés par l’Assurance-maladie sous forme d’honoraires. Ils font partie du lot des nouvelles missions de santé confiées aux pharmaciens ces dernières années. Le salon de la pharmacie Pharmagora, qui s’est tenu du 11 au 12 mars à Paris, a été l’occasion pour la profession de dresser un premier bilan.
L’amorce de ce virage prend racine au cours de la dernière décennie. Confrontés à la baisse des prix des médicaments, les pharmaciens s’inquiètent du devenir de leurs officines. Car leurs chiffres d’affaires en sont, à cette époque, dépendants, leur rémunération reposant sur un pourcentage du prix de la boîte de médicaments vendue. « A chaque fois qu’on conseillait à un patient de ne prendre qu’une boîte au lieu de quatre, on se tirait une balle dans le pied », se rappelle Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine. Nouveau modèle face à l’impasse qui se profile, la profession monte au créneau.
Avec les pouvoirs publics, une réflexion est menée pour trouver un nouveau modèle. « Nous n’avions que deux solutions pour nous en sortir : passer à une rémunération à l’acte, comme tous les professionnels de santé, ou nous calquer sur le modèle anglo-saxon et devenir des supermarchés du médicament », détaille Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Peu enclins à être réduits à des « marchands de boîtes », les pharmaciens optent pour la première.
La bascule est faite en 2015. A partir de ce moment, la rémunération sur les médicaments sur ordonnance qui représente 8o % des revenus de l’officine ne dépendra plus des marges commerciales mais sera forfaitaire. Le pharmacien n’est plus payé à la boîte mais à l’acte de dispensation, c’est -àdire l’analyse de l’ordonnance, la délivrance des médicaments et le conseil au patient sur leur bon usage. Cette refonte du modèle économique, qui entérine le rôle de professionnel de santé du pharmacien, ouvre la voie à la mise en place de nouvelles attributions.
La première concerne l’arrivée de la vaccination contre la grippe en 2017. Obtenue non sans quelque réticence des médecins et des infirmiers, au départ irrités d’être concurrencés sur leur terrain, elle est aujourd’hui proposée par plus de 92 % des officines. Elle a rendu possible leur mobilisation massive contre le Covid. « Nous étions déjà organisés pour étendre nos missions. C’est ce qui a permis de mettre rapidement en place la vaccination et le dépistage pendant la crise sanitaire », note Bruno Maleine, de l’Ordre national des pharmaciens.
Ce succès a accéléré l’évolution de la profession. « Lappui qu’ils ont apporté a confirmé l’intuition que nous avions tous, à savoir qu’il fallait utiliser au maximum les compétences de ces professionnels dans un contexte de raréfaction de la ressource médicale », analyse Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Caisse nationale d’Assurance- maladie. Dont acte.
En 2022, la convention pharmaceutique signée par le secteur prévoit de nouvelles attributions rémunérées. Parmi elles, l’entretien pour les femmes enceintes, mais aussi le dépistage du cancer colorectal et de la cystite, et les rappels pour dix vaccins (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, papillomavirus, hépatite…).
Préparation de piluliers trois mois après leur autorisation, 159 000 injections avaient été faites. « Une autre belle surprise concerne le dépistage du cancer colorectal. Nous n’étions pas certains que le circuit officinal puisse l’améliorer. Finalement, le taux de réalisation du test une fois le kit délivré par le pharmacien est de 63 %. C’est un bon score », poursuit Mme Cazeneuve. Face aux déserts médicaux, le maillage territorial des officines est un atout. « C’est ce qui nous permet d’être identifiés comme des relais de santé de proximité. Le pharmacien est le seul professionnel de santé que vous pouvez consulter sans rendez-vous, sept jours sur sept », souligne Bruno Maleine.
Avec une fréquentation des officines estimée à plus de 4 millions de passages par jour, il a fallu s’organiser. « Nous avons fait des travaux pour aménager une salle avec un point d’eau dédiée à la vaccination et au dépistage, on a aussi un agenda pour la prise de rendez-vous. Ça a changé le quotidien, mais on est très contents de cette évolution de notre rôle », témoigne Grégoire Fournet au comptoir de la pharmacie Victor-Hugo à Lomme (Nord). Le pharmacien espère que son rôle sera élargi à d’autres missions, et surtout, que celles déjà effectuées, comme la préparation des piluliers, seront reconnues. « On livre chaque jour un Ehpad de cent vingt patients. Le remplissage des piluliers nous prend vingt heures par semaine, mais il n’existe aucun acte spécifique pour rémunérer cette activité », déplore -t -il.
Pour Emmanuel Schoffler, PDG de Healthy Group, maison mère de l’enseigne Aprium, ces nouvelles missions sont aussi l’occasion d’étendre les services et d’attirer de nouveaux patients. « La pharmacie devient un hub de santé. Même si elles sont faiblement rémunérées au vu du temps passé, ces missions contribuent à fidéliser le patient », observe-t-il. En septembre, de nouvelles négociations entre les syndicats et l’Assurance maladie sont justement prévues sur ce volet économique.
LES CHIFFRES :
20 931, c’est le nombre de pharmacies installées en France. Parmi elles, 613 se situent en outre -mer.
4 MILLIONS, c’est le nombre de personnes qui se rendent chaque jour dans une officine.
18,9 %, c’est, en moyenne, la part ce produits vendus hors prescription (automédication, compléments alimentaires, dispositifs médicaux, produits d’hygiène et de soins, cosmétiques) dans le chiffre d’affaires d’une pharmacie.
3,7%, c’est l’augmentation de la marge (hors revenus du Covid -19) réalisée sur les médicaments vendus sur ordonnance par le secteur en 2022