Trop de pharmacies et pas assez d’habitants. C’est l’équation à laquelle a été confrontée la ville de Châteauroux (Indre), qui a perdu près de 20 % de sa population ces trente dernières années, pour s’établir à environ 44 000 habitants aujourd’hui. Sur les dix-neuf pharmacies de la ville, trois ont dû fermer en cinq ans. Mais les professionnels du secteur ont réussi à limiter la casse grâce à une solution inédite : les rachats-fermetures collectifs.
« Lorsque mon confrère de la pharmacie centrale a voulu vendre, on a supposé qu’une pharmacie cassant les prix allait s’installer », dit Christine Daguet, vice-présidente du syndicat des pharmaciens de l’Indre et pharmacienne à Châteauroux. Son installation aurait sans doute fragilisé le chiffre d’affaires de ses collègues et entraîné la faillite des plus petites pharmacies.
Pour sauver la profession, tous les pharmaciens de la ville se sont entendus pour racheter l’officine et la fermer, rendant impossibles la récupération de la licence professionnelle et l’implantation d’une officine à bas coûts sous enseigne nationale. Si les pharmacies les plus proches des trois officines ainsi fermées ont vu leur chiffre d’affaires augmenter, les plus éloignées ont participé à l’opération sans avoir de clients supplémentaires. Mais elles ont survécu. Toutefois, la transformation du réseau n’est pas terminée, car la ville reste surcouverte ; selon l’agence régionale de santé, sur les seize pharmacies encore ouvertes, dix seulement sont nécessaires pour répondre aux besoins des habitants.
Baisse du remboursement des médicaments et départ des médecins
Ce type de restructuration n’est pas propre à Châteauroux ni même au département ; en 2017, 57 % des 193 fermetures de pharmacie au niveau national étaient liés à une réorganisation du réseau, d’après le dernier rapport de l’Ordre national des pharmaciens. En cause, la baisse du remboursement des médicaments et, surtout, le non-remplacement des médecins. Les pharmaciens s’inquiètent particulièrement des déserts médicaux qui s’aggravent.
« Il y a vingt ans, on trouvait cinq médecins généralistes et spécialistes dans l’avenue. Il n’y en a plus aucun », déplore Christine Daguet. Selon la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) pour l’Indre, le non-remplacement d’un médecin entraîne une baisse moyenne de 40 % du chiffre d’affaires de la pharmacie voisine.
A 20 kilomètres de Châteauroux, la commune de Levroux (3 000 habitants) a opté pour une autre méthode pour sauver l’emploi de ses pharmaciens exerçant en centre-ville. Le 1er janvier 2016, les deux officines du centre ont fermé leurs portes ; mais elles les ont rouvertes ensemble, à 800 mètres de là, en périphérie.
Non seulement les habitués des deux officines n’ont pas eu de mal à retrouver leurs habitudes mais, surtout, le regroupement des deux boutiques a entraîné une baisse des prix grâce à des achats groupés et un allongement des horaires d’ouverture. Pas moins de 14 000 références sont proposées à la vente sur 400 mètres carrés flambant neufs ; espace bébé, médecines naturelles, orthopédie, matériel médical, prothèses mammaires externes pour les femmes victimes d’un cancer du sein ou encore salle de confidentialité pour les bilans médicaux… L’offre de soins proposée par la pharmacie de Levroux est bien supérieure à celle des villages voisins.
Face au manque de médecins et à l’engorgement des urgences, les pharmacies sont en première ligne et se diversifient. Pour Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), « le métier est en pleine transformation. Le pharmacien est un professionnel de santé de plus en plus intégré à l’équipe de soin ».
Parmi les nouvelles activités, la vaccination
Selon l’Ordre, 80 % de l’activité d’un pharmacien proviennent encore de la vente de médicaments, un taux toutefois en baisse à mesure que les activités se diversifient : « Avant, plus on vendait de médicaments, plus on gagnait d’argent. C’était un non-sens en matière de santé publique », reconnaît Alain Delgutte, vice-président de l’Ordre des pharmaciens, chargé des titulaires d’officine. Parmi ces nouvelles activités, la vaccination devrait se tailler une place de choix ; après un an d’expérimentation de la vaccination en pharmacie en Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle-Aquitaine, l’autorisation est étendue à l’Occitanie et aux Hauts-de-France depuis le 7 juin.
Malgré tout, Philippe Gaertner, président du syndicat majoritaire, la FSPF, reste prudent :
« Les pharmaciens ne doivent rien laisser de côté, mais ces activités complémentaires [bilan personnalisé de médication, dépistage, vaccination…] ne deviendront jamais principales. »
D’autant que, si la vaccination est remboursée par la Sécurité sociale, ce n’est pas le cas de toutes ces activités. « Aujourd’hui, on fait certaines de ces nouvelles activités à perte, comme les dépistages, explique Laurent Charpentier, pharmacien à Levroux. Mais c’est indispensable à la campagne pour notre clientèle de personnes âgées et d’habitants à faible pouvoir d’achat. »
Demain, la concurrence se jouera également sur les prix. Près d’une officine sur deux a rejoint un groupement pour mutualiser les achats et dépenses en marketing. « Il y aura plusieurs modèles qui cohabiteront : les pharmacies discount avec des prix bas et les autres avec une offre de services globale », prédit Mehdi Djilani, président du groupement HPI-Totum pharmaciens.
Pour Gilles Bonnefond, « ces mesures recréent une spirale positive et de l’attractivité pour les jeunes après des années de morosité ». Heureuse coïncidence. Le fils de 16 ans d’Agnès Fageon, propriétaire de la plus grande pharmacie de Châteauroux, a changé son projet d’orientation : « Jusqu’en mars, Thomas rêvait d’être architecte. Aujourd’hui, il veut devenir pharmacien. » Ses parents ne l’ont pas découragé.